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MONTRÉAL, CAPITALE DU CINÉMA NUMÉRIQUE

PUBLIÉ DANS La Presse, 15.01.02

Montréal est une ville de cinéma depuis longtemps. Historiquement, elle a accueilli rue Saint-Laurent, la première projection cinématographique en Amérique du Nord. Aujourd'hui, les tournages y sont nombreux et les studios traditionnels en plein essor. Mais plus encore, Montréal a été le lieu de production des tous premiers films d'animation par ordinateur, avec les Thalmann à l'Université de Montréal au début des années 80 (Vol de rêve). Le développement de l'industrie du cinéma numérique à Montréal et son succès international sont donc très antérieurs à ceux du multimédia, qui y a trouvé de fait les bases de son développement rapide et qui a été reconnu depuis et promu avec le succès que l'on sait, dont la Cité du multimédia est devenue le symbole international. Pourtant, la légitimité historique de Montréal ville du cinéma numérique, et ses succès actuels n'ont pas encore été pris en compte. Et parce que les principales compagnies de production avaient déjà investi lourdement dans leurs studios de production, elles n'ont pas déménagé dans la nouvelle Cité du multimédia et n'ont donc pas bénéficié des avantages fiscaux offerts aux jeunes entreprises de multimédia. Pourtant, elles sont généralement encore petites et vulnérables, comme toute PME, et leur développement constitue un enjeu international majeur pour l'avenir de Montréal et du Québec.

Montréal a tous les atouts pour devenir la capitale de l'Est de l'Amérique du Nord dans le domaine du cinéma numérique, prenant la relève de la vieille industrie du cinéma de Hollywood. Elle a tous les éléments constitutifs pour y parvenir, et son industrie du cinéma numérique mérite, à l'instar de son industrie du multimédia, beaucoup plus que le modeste premier programme d'aide gouvernementale qui lui a été accordé à ce jour, imité il y a quatre ans d'une mesure de soutien financier initiée cette fois non pas au Québec, mais en Ontario!

Reprenons les faits, qui sont autant d'arguments en faveur d'une nouvelle et vigoureuse politique de soutien au cinéma numérique :

  • C'est à Montréal, à l'ONF, qu'est né le cinéma d'animation moderne avec McLaren, Roger Jodoin, et tant d'autres. Un Frédéric Bach, qui jouit d'une réputation internationale, contribue à maintenir le flambeau.
  • C'est à Montréal qu'a été inventé le cinéma IMAX, à l'occasion de l'Exposition universelle de 67.
  • C'est à Montréal qu'a été produit "Tony de Peltrie", le premier court métrage en 3D de l'histoire du cinéma numérique, par Daniel Langlois, Pierre Robidoux, Pierre Lachapelle et Denis Bergeron, marquant aussi un progrès considérable dans l'expression des émotions du personnage synthétique.
  • C'est à Montréal qu'a été créée la compétition internationale d'animation par ordinateur "Images du Futur", et l'exposition du même nom en 1986, qui ont été uniques au Canada.
  • C'est à Montréal qu'ont été développés les logiciels d'effets spéciaux pour le cinéma et d'animation par ordinateur les plus réputés (Softimage, Discreet Logic, Behaviour, Toon-Boom, Tarna, etc.)
  • Nous avons développé à Montréal une industrie du cinéma importante, depuis la création de l'Office National du Film, avec Téléfilm Canada, avec des producteurs comme Roger Frappier, Rock Demers, René Malo, Lorraine Richard, etc., des réalisateurs comme Pierre Perrault, Claude Jutras, Francis Mankievitcz, André Mélançon, Michel Brault, Léa Pol, Denys Arcand, etc. Et une nouvelle génération est à l'œuvre.
  • En 2000, Le Viel homme et la mer, d'Alexandre Petrov, produit par Pascal Blais, recevait l'Oscar du meilleur court métrage d'animation. Et dans un autre registre, Pascal Blais l'a emporté sur tous ses compétiteurs pour le contrat d'animation du Père Noël commandé par la firme américaine Coca Cola.
  • Nous constatons la venue à Montréal de nombreux producteurs américains pour tourner dans des décors historiques et à des coûts moins élevés qu'aux États-Unis. Le Bureau du cinéma de la ville de Montréal a fait un travail remarquable en ce sens sous la houlette d'André Lafond et une moyenne d'une vingtaine de films américains sont tournés chaque année à Montréal, avec la présence marquante d'acteurs vedette tels Marlon Brando, Eddy Murphy, Robert de Niro, Paul Newman, etc. Les retombées économiques annuelles sont de quelques 500 millions pour les films américains et de 1,6 milliard en 1999 pour le total des sommes dépensées à Montréal pour tous les tournages cinématographiques, toutes origines confondues!
  • L'Université Concordia compte la plus importante École de cinéma du Canada, commanditée par Mel Hoppenheim.
  • Nous avons à Montréal de nombreux Festivals de cinéma, dont notamment le Festival des films du monde, le Festival du nouveau cinéma et des nouveaux médias, etc.
  • La Cinémathèque québécoise joue un rôle essentiel pour la culture cinématographique à Montréal et elle a été complétée par un équipement majeur pour le soutien à la diffusion du cinéma de qualité : le Centre Ex Centris, qui a connu aussitôt un succès considérable.
  • On construit ici et là sans cesse de nouveaux studios de tournage, qui sont déjà insuffisants pour répondre à la demande: Cité du cinéma, Mel's Cité, Ciné Cité à Saint-Hubert (avec aérodrome) et sur les anciens terrains Angus, et des projets importants sont en cours dans les anciennes usines Ashton à Saint-Henri, Hyundai à Bromont, sans oublier les projets en Montérégie. etc.
  • Nous avons à Montréal une tradition d'excellents créateurs d'effets spéciaux, constamment sollicités par les producteurs américains, et qui doivent souvent aller travailler aux États-Unis, plutôt que d'attirer les entreprises américaines au Québec.
  • Des producteurs québécois qui ont réussi à Los Angeles, tels Louis Massicotte, souhaiteraient revenir à Montréal créer des entreprises de production
  • Les entreprises québécoises d'animation par ordinateur se sont regroupées sous le sigle Québec AnimFx qui se consacre à la promotion internationale de notre expertise québécoise, et compte déjà à son actif la visite du Premier Ministre en Californie à l'automne 99, pour promouvoir l'excellence québécoise, en 2000 la première vitrine des effets spéciaux et du cinéma numérique jamais présentée au Festival de Cannes : tout un symbole!
  • Le MIM - Marché International du Multimédia - a mis l'emphase sur l'animation par ordinateur et le cinéma numérique chaque année depuis 1999, attirant les plus grands noms.
  • La Fondation Daniel Langlois et son créateur lui-même se consacrent notamment au cinéma numérique et nous annoncent pour bientôt un premier long métrage entièrement tourné en numérique haute définition : The baroness and the pig.
  • D'excellents studios de post-production numérique sont offerts à Montréal, notamment par Covitec Astral, etc.
  • Les coûts de production au Québec sont remarquablement compétitifs, en comparaison de ceux des États-Unis ou de l'Europe.
  • La diffusion des films par satellites et technologies numériques va transformer le marché du cinéma, et ce sera l'occasion pour Montréal de créer une alternative dynamique, plus flexible et moins coûteuse, au pouvoir sans partage des majeures américaines sur les marchés de diffusion cinématographique.
  • Le principal marché de la publicité télévisuelle, qui se fera de plus en plus en images numériques, se situe à notre porte, à New York, et exige les mêmes spécificités créatives et technologiques que le cinéma numérique.
  • Le tournage en décors virtuels, appelé à un grand avenir, est en plein développement à Montréal, où a été produit le premier long métrage en décors virtuels (The Secret Adventures of Jules Verne, Icestorm Entertainment, etc.).
  • Le nouvel Institut Hexagram de recherche et création en arts et technologies médiatiques, - un consortium des universités Concordia et UQAM - va permettre de donner une nouvelle impulsion décisive en R&D dans ce domaine.

Et nous pourrions encore allonger cette liste, citer d'excellents créateurs, producteurs, développeurs, des prix internationaux et des écoles de formation reconnues, un maillon indispensable de la chaîne, pour assurer l'avenir.

Il est décisif d'offrir aux producteurs tous les services intégrés, une sorte de guichet unique montréalais : tournage en studio ou en plein air et décors urbains - Montréal offre une très grande diversités de sites, historiques ou très actuels -, créateurs, artisans et studios de son, de montage, d'effets spéciaux et de postproduction, afin de favoriser la production complète des films ici, de A à Z.

Nous aspirons tous à voir Montréal confirmer son positionnement international de grande ville de productions culturelles, dont on pourra attendre des retombées économiques majeures. L'animation numérique touche des marchés essentiels : non seulement le cinéma, mais aussi la télévision, la publicité, les jeux et les parcs thématiques. Et nous savons tous que la compétition entre les grandes métropoles est sauvage. On ne saurait donc laisser passer une telle opportunité. Cela créerait en outre une synergie stratégique avec l'industrie du multimédia, qui a été clairement une priorité gouvernementale et avec les industries culturelles, touristiques et de divertissement, qui sont désormais essentielles à notre développement. La place est à prendre. Tant la Caisse de dépôts et placement du Québec (acquisitions en Californie), que la Société générale de financement ( Ciné Cité - imagerie numérique) s'impliquent actuellement, ce qui est bon signe. Mais il faut plus et vite! Un enjeu incontournable pour le gouvernement et pour la nouvelle ville de Montréal!

Voilà déjà plusieurs années que j'attire l'attention sur cette opportunité qui s'ouvre pour Montréal, alors que nous savons tous que toute l'industrie du cinéma va se tourner sans retour et entièrement vers les technologies numériques. La fenêtre pourrait se refermer sans nous; Hollywood, Vancouver ou Toronto pourraient se réveiller et nous souffler la place sous le nez, si nous n'agissons pas assez vite!

Une politique fiscale comparable à celles des Cités du multimédia et du Commerce électronique, serait donc bienvenue pour l'industrie du cinéma numérique. On devrait éviter cette fois de lier les avantages de cette politique à un quartier urbain particulier, pour tenir compte de l'ancienneté et de la dispersion des localisations actuelles des studios de production à Montréal et hors Montréal; mais un lieu de regroupement pour les entreprises nouvelles, avec des studios et services communs, constituerait à coup sûr un outil de développement intelligent et un symbole urbain stratégique. Et les lieux de la vieille industrie ne manquent pas à Montréal, vastes et à l'abandon, dont la transformation pour accueillir des entreprises nouvelles de cinéma numérique pourrait constituer à nouveau aussi un levier de réhabilitation urbaine - anciens silos à grain du Vieux Port, zones à l'abandon dans l'est de Montréal ou le long du Canal Lachine, etc.

Cela va prendre un investissement majeur - à la mesure de l'enjeu -, dont on est en droit d'attendre des retombées économiques et culturelles considérables, avec un effet d'entraînement latéral stratégique pour beaucoup d'autres secteurs.

Il nous faudra un signal sculptural puissant de la reconversion d'un symbole de la vieille économie dans la nouvelle économie, un signal international de la force créative de Montréal, qui vaudra bien le néon de la colline de Hollywood!

Copyright : Hervé Fischer
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