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Après le culte de la diversification des entreprises et son échec, nous venons de connaître à l'opposé les années folles de la convergence. Et la crise n'est pas encore terminée que déjà le prochain retour en puissance des technos et des télécoms s'annonce inversement sous le signe de la divergence. La démission annoncée de Steve Case, l'artisan de la fusion triomphale AOL-Time Warner en janvier 2000 prend aujourd'hui valeur de symbole à rebours.

La belle époque des point.com a fabulé sur les pouvoirs extraordinaires du numérique qui nous proposait la convergence technologique universelle. On y a vu le moteur d'une nouvelle économie imaginaire et même d'une globalisation unificatrice du monde. Le mythe de la convergence légitimait les fusions-acquisitions d'immenses groupes transnationaux. Elle appelait à l'amalgame des médias et des contenus, avec des plans d'affaires intégrant tuyaux, logiciels multifonctionnels et contenus, la télévision, le téléphone, l'Internet, le cinéma, la musique, l'édition, les journaux, l'éducation et le commerce électronique. Le modèle AOL-Time Warner s'est répandu comme une épidémie. LA convergence a alimenté la spéculation effrénée des point.com. Généralisant une utopie technologique, on a pensé que les usages sociaux seraient eux aussi convergents, donnant naissance à un prétendu homo convergens infatigablement branché sur tous les écrans de la vie.

Le réveil a été brutal. De ce mythe de l'unité qui a inspiré des euphories et métamorphosé des C.E.O. en demi-dieux aujourd'hui déchus, Vivendi Universal demeurera aussi un symbole.

Faut-il alors se venger du rêve devenu cauchemar en ironisant sur la révolution du numérique qui n'aurait été qu'un bref spectacle de paillettes? Ce serait une 2e erreur, car le numérique est une vague de fond qui va s'amplifier et se généraliser à tout le kaléidoscope des activités humaines. Il a bénéficié des énormes investissements en capital de risque de la bulle spéculative, certes volatilisés aujourd'hui, mais qui en ont accéléré la recherche et développement. Non seulement les médias, mais aussi la technoscience, désormais située au coeur de notre développement économique, sont de plus en plus asservis aux ordinateurs. Après la crise, une consolidation de nos industries numériques s'annonce déjà, et il est permis de prévoir que les technos et même les télécoms vont reprendre de la vigueur dès 2003 en Amérique du Nord et en 2004 en Europe.

Certes, après la pensée magique, le retour du principe de réalité paraît souvent moins spectaculaire; mais il peut être aussi soudain et plus durable. On va redécouvrir les spécificités des médias, qui ne peuvent pas être mélangés pour constituer un média supérieur, convergent et universel qui additionnerait les vertus de chacun. Les médias sont comme les langues et les arts : ils s'influencent, mais la force réelle de chacun, aussi bien culturelle que commerciale, est dans l'exploitation de sa spécificité. Un livre ne sera jamais un site Web. Radio et télévision ont triomphé en s'éloignant l'une de l'autre. Un journal en ligne n'aura bientôt plus rien à voir avec l'esthétique, les contenus, les fonctionnalités et les vertus irremplaçables d'un journal papier.
Par Hervé Fischer

auteur de Mythanalyse du futur (www.hervefischer.ca) et du Choc du numérique, VLB, Montréal, 2001

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