Autres textes

 

POINT DE VUE

La Chine, du rattrapage au leadership, par Hervé Fischer
LE MONDE | 06.09.04

Après Athènes, la flamme olympique vient d'être transmise à Pékin, qui se prépare déjà pour les Jeux de 2008. Voilà tout un symbole pour l'avenir de la Chine qui, d'ici trente ans, sera devenue, fort probablement, la première puissance du monde. Elle surpassera les Etats-Unis, mettant de fait un frein à l'impérialisme américain, dont nous subissons aujourd'hui l'arrogance.

Nous nous retrouverons ainsi dans un monde multipolaire, celui auquel nous aspirons, où un équilibre pourra se construire entre trois forces dominantes - la Chine, les Etats-Unis et l'Europe - et plusieurs moyennes puissances telles que le Japon, la Russie, l'Inde et le Brésil. Ce devrait être un monde beaucoup plus vivable et plus respectueux de la diversité des cultures et des identités.

Comment peut-on croire à un tel changement en si peu d'années, de la part d'un pays, certes de civilisation ancienne et exceptionnelle, mais qui était encore si récemment soumis à la dictature maoïste ? Il faut d'abord se demander comment les gouvernements chinois ont réussi à accélérer une évolution économique et politique considérable dans une population si diverse de 1,3 milliard d'habitants, sans perdre le contrôle ni plonger le pays dans le chaos.

Il y a un prix fort à payer, que symbolise encore la répression de la place Tiananmen, mais nous parions sans hésiter sur la démocratie chinoise future, qui se concrétisera avec l'essor économique et l'ouverture du pays à la circulation des hommes et des idées.

Beaucoup de sociétés américaines parmi les plus dynamiques s'attendent à ce que la Chine soit en tête de la croissance des décennies à venir. Et, désormais, de puissantes compagnies chinoises excellent chez elles et à l'étranger.

En 2003 :

- le produit national brut (PNB) de la Chine a été de 11 449,4 milliards de yuans (1 euro = 9,99 yuans), soit une augmentation de 9,1 % en comparaison de l'année précédente. Le volume total des importations et des exportations a atteint 851,2 milliards de yuans, ce qui place la Chine au quatrième rang mondial ;

- le nombre total d'usagers d'Internet en Chine a grimpé à 78 millions (deuxième rang mondial) ;

- sur les quelque 520 millions de téléphones cellulaires qui ont été fabriqués dans le monde, 160 millions l'ont été en Chine, soit plus de 30 % du marché international, ce qui place la Chine au premier rang mondial ;

- plus de 13,30 millions d'ordinateurs personnels ont été vendus en Chine, soit une croissance annuelle de 10,4 %.

La Chine a pris sa place dans le concert des pays du Nord. Y perd-elle son âme ? On a désormais le sentiment, au centre-ville de Shanghaï, d'être dans une métropole nord-américaine, et le trafic automobile est devenu pire qu'à Toronto ou à Boston. Il faut parfois chercher un reliquat de toiture chinoise ou regarder les enseignes pour se rappeler qu'on est en Chine.

On voudrait donc espérer qu'en s'appuyant sur l'immensité de son marché intérieur, la Chine développera bientôt ses propres normes informatiques, sa propre culture, ses propres valeurs identitaires, plutôt que d'importer et d'imiter tout ce qui vient de l'étranger. Par exemple, la Chine pourrait concurrencer avantageusement les empires de Microsoft ou d'Hollywood !

Depuis l'époque récente où je cherchais en vain dans les universités chinoises des spécialistes de l'animation par ordinateur ou du multimédia, sont nés des entreprises, des parcs et des cités du multimédia (il y en a deux, en concurrence, pour la seule ville de Shanghaï !), qui vont devenir rapidement hautement compétitifs.

Dans le domaine de pointe des technologies numériques, qui deviennent un instrument stratégique de développement de toutes nos activités humaines, aussi bien scientifiques qu'économiques et commerciales, éducatives, culturelles et démocratiques, la Chine connaît un développement exponentiel.

Pourquoi la Chine va-t-elle devenir la première puissance mondiale ? Son marché intérieur représente quatre fois celui des Etats-Unis, et a besoin de tout. Pendant les dernières dix années, la Chine est devenue graduellement le pays manufacturier numéro un de la planète. Elle a mis en œuvre une série de réformes sociales et économiques décisives.

Maintenant, la Chine veut accéder à la société de l'information avec la même ambition que dans les autres sphères de l'économie. Elle va passer de l'étape du rattrapage à celle du leadership. Elle bâtit quotidiennement, à vitesse accélérée, sa puissance techno-scientifique. Elle veut gagner et se prépare à le prouver !

Et parce que la Chine, de tradition confucéenne, est une société matérialiste, dont la morale sociale, agnostique, ne nourrit aucun intégrisme religieux, aucun fanatisme binaire, mais favorise plutôt le réalisme commercial, et que son peuple aspire désormais à accéder pleinement à son tour à la société de consommation, sa montée en puissance constituera à coup sûr un facteur de paix, hautement appréciable pour notre planète qui en a tant besoin.

Hervé Fischer est président de la Fédération internationale des associations de multimédia (FIAM). Cette ONG canadienne est accréditée auprès du Conseil économique et social des Nations unies.

 ARTICLE PARU DANS L'EDITION
DU 07.09.04

« retour